jeudi 4 janvier 2024

Quelle agriculture en Tunisie après la crise du coronavirus ?

 


Quelle agriculture en Tunisie après la crise du coronavirus ? (1-3)

10 /07/2020

 

Après l’annonce d’un embargo par les grands pays producteurs sur leur blé et leur riz, nous vivons le spectre de la faim qui menace la stabilité politique et sociale dans le monde. Pour faire face à cette menace, il faut un plan de développement basé sur la protection de l’économie nationale, la création d’un fonds pour redynamiser l’investissement et créer des emplois et le soutien aux systèmes de production afin de réduire le déficit commercial.

Par Chérif Kastalli *

Les retombées de la pandémie de la Covid-19 seront néfastes, les échanges commerciaux vont être très réduits, une atmosphère de morosité est entrain de gagner le monde, nos produits trouveront des difficultés d’écoulement dans les marchés européens, nos importations vont aussi baisser avec éventuellement des pénuries de certains produits alimentaires. Notre salut viendra-t-il de notre parent pauvre : l’agriculture?

Notre agriculture, on ne cesse de le dire, souffre du faible rendement des exploitations, de la non-maîtrise des techniques de production, du morcellement foncier, du lourd fardeau de la dette, de l’incapacité des agriculteurs à s’organiser dans des structures collectives, de l’absence d’une approche spécifique selon les étages bioclimatiques, de l’irrationalité de l’investissement.

Outre l’irrégularité des pluies, la politique de limitation des prix à la production, dans le but de préserver le pouvoir d’achat, a spolié la paysannerie et nous exposés au risque d’effondrement de tous les systèmes de production : 80% des exploitations ont moins de 10 hectares dans les régions du nord-ouest; 70% d’entre elles ne sont plus viables et n’arrivent plus à offrir une vie décente à leurs exploitants; l’endettement excessif des agriculteurs a fait que seulement 7% des 500.000 exploitants que compte le pays sont éligibles au crédit agricole (1) et 460.000 agriculteurs n’accèdent pas au crédit agricole.

Il est temps de réviser le modèle de développement et d’installer des approches et des stratégies de sortie de crise, redéfinir certains concepts – en considérant le monde paysans comme une entité socioéconomique fonctionnelle génératrice de revenus et en faisant participer les agriculteurs à la conception, à la décision – et réaménager l’espace par des reformes appropriées.

Pour un nouveau modèle de développement

Il s’agit de re-concevoir la mobilité sociale dans le monde rural. Certains concepts doivent-être en effet révisés. Ainsi, l'approche de développement du monde rural ne doit en aucun cas avoir pour objectif d’attacher les ruraux à la campagne au prétexte de la désertion des champs, de l’asphyxie des villes par l’exode rural ou de la «ruralisation des villes».

Cette conception urbaine et bureaucratique est nuisible dans la mesure où elle coïnce le monde rural dans le piège de la crise. L’exode rural est une conséquence directe de l’évolution sociale et démographique. Le monde rural, au-delà de ses spécificités, est une ressource naturelle qui fonctionne comme un appareil économique dont les rendements sont limités et il ne peut assurer l’entretien que d’un nombre déterminé d’individus. Car, comme entreprise, il a une capacité de recrutement limitée et tout suremploi l’entraîne dans des difficultés structurelles.

On doit repenser notre modèle de développement en considérant la paysannerie comme une composante essentielle et vitale du système de production : la population rurale est le véritable artisan et ingénieur du terrain qui, par son savoir ancestral, pourra préserver les droits des générations futures sans porter atteinte à l'environnement en assurant le transfert du savoir-faire d’une génération à l’autre.

Aussi doit-on préparer les villes à supporter non pas les flux migratoires mais la mobilité sociale. Pour ce faire, il faut des aménagements et une infrastructure économique capable d’absorber l’excédent démographique de la campagne. Cette infrastructure économique peut être financée par l’argent de la privatisation.

En effet, et compte tenue du fait que l'arrière pays a une économie basée sur l’agriculture avec un manque criant de capitaux, le désengagement de l'Etat a trop pénalisé les régions et on s’est trouvé avec un déficit en matière de création d’entreprises et un chaumage alarment.

Aussi est-il important d’envisager un processus en boucle qui consiste à recycler l’argent de la privatisation : l’Etat construit des usines puis les privatise en les mettant en bourse.

De même faut-il savoir bien tirer profit du réseau ferroviaire en aménageant des tronçons pour la création d’un chapelet de zones industrielles limitrophes au chemin de fer pour mieux économiser l’énergie.

Il faut aussi créer un partenariat public-privé pour la création des zones industrielles-dépôts-transformations d’envergure autour des stations de péage.

Il faut faciliter les procédures de changement de la vocation des terres agricoles en particulier pour les investissements écologiques et artisanaux, l’autorisation dans ce cadre devant être délivrée par le délégué.

Il faut une implication plus significative de l’administration dans la promotion de l’investissement : avec le budget de misère qui leur est alloué, les délégués font actuellement du surplace, leur rôle se limitant à l’assistance sociale et à quelques interventions pour une conduite d’eau coupée ou une route non accessible. Ces fonctionnaires de terrain doivent se convertir en des agents de développement territorial, en encadrant le promoteur, en mettant à sa disposition la liasse des autorisations nécessaires comme celles de changement de vocation du terrain ou de bâtir, les certificats d’analyse du sol, les plans parcellaires, les plans des bâtiments ruraux (étable, bergerie, poulailler, chambre froide…), le business plan, coordonner avec la Steg et la Sonede… Bref devenir des accompagnateurs de projets.

Il faut permettre aux exploitants dans l’indivision d’entreprendre des travaux de plantations arboricoles, de constructions de hangars ou de logements ruraux, de creusement de puits de surfaces, etc., et cela en débloquant la situation de l’indivision concernant l’investissement par une loi spécifique aux biens ruraux qui stipule que : «Tout investissement dans un bien rural ne portant pas préjudice sur le plan vocation ou accès, et en tenant compte de la qualité du sol et de sa position, sera attribué, lors du partage, à son promoteur tant qu’il ne dépasse pas sa quote-part».

Il faut aussi diversifier les activités par la valorisation des aménités territoriales et faciliter l’installation des jeunes pour la création de PME et microprojets et adhérer à l’économie sociale et solidaire dont l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) vient d’adopter la loi le 17 juin 2020. Ce nouveau cadre de fonctionnement restera une coquille vide sans une volonté politique de venir en aide à cette frange précaire de la population.

Cette loi nous inspire une série de questions: la Tunisie est-elle en mesure de repenser son économie ? Est-ce qu’elle est disposée à initier une politique de souveraineté et de protection de ses entreprises et de sauvegarde de ses systèmes de production? Il faut des réponses claires à ces questions avant d’envisager quoi que ce soit dans ce domaine.

Par ailleurs, on ne peut pas parler d’économie sociale et solidaire avec l’importation de produits concurrents aux produits locaux et avec une paysannerie vivant dans des conditions précaires, spoliée de son lait et de son blé et une population forestière dépossédée de ses terres.

L’économie sociale et solidaire restera une vue de l’esprit jusqu'à ce que les responsables politiques prendront conscience de l’importance de la souveraineté alimentaire et de la protection des systèmes de production.

Elaboration des stratégies d’approches

Pour réussir à relancer la production agricole, il est nécessaire d’élaborer une stratégie d’approche spécifique selon les étages bioclimatiques.

Dans les zones subhumides et les périmètres irrigués, il convient d’élaborer un programme de valorisation des fortes précipitations et des infrastructures hydrauliques basé sur l’intensification des cultures, en fixant un objectif de haut rendement et en offrant les conditions et les exigences nécessaires à cet objectif : semences à haut rendement, densité élevée de semis, apport considérable en matière de fertilisation, traitement contre les maladies cryptogamiques…

Dans les zones semi-arides, le programme doit être basé sur les céréales secondaires (orge et avoine), avec l’intégration de l’élevage ovin. Il faut aussi envisager un programme oléicole basé sur la «mgharsa», tel qu’il a été pratiqué par l’administration des «habous» au début du XXe siècle dans la région de Sfax. On peut étendre aussi ce programme aux terres accidentées de Hedhil et de Kroumirie au nord.

Au Sud, in envisagera un programme d’extension de la palmeraie nationale, car la culture des dattes est le créneau porteur par excellence pour la Tunisie, au regard des spécificités bioclimatiques de la région.

Il faut donc agrandir la forêt de palmiers dattiers et lui drainer les eaux du nord. On peut aussi appliquer la «magharsa» aux terres de l’Etat pour mieux impliquer la profession dans la création et la mise en valeur des oasis.

Ces approches doivent êtres pilotées sans difficultés structurelles et organisationnelles pour mieux cerner les responsabilités et éviter les négligences. Il s’avère alors qu’une restructuration du ministère de l’Agriculture est nécessaire et urgente, qui touchera les aspects institutionnels comme les systèmes de vulgarisation, de la production végétale et de la production animale.

Pour ce faire, il faut : a) : créer un office de la production végétale auquel seront affectés les moyens et les effectifs actuels de la direction de la production végétale; b) : transférer les moyens et les effectifs actuels de la direction de la production animale à l’Office de l’élevage.

Cette restructuration est impérative dans la mesure où elle réduit les intervenants et le chevauchement des tâches et installera l’équivalent d’un guichet unique tout en rationalisant les dépenses publiques et le financement non justifié des postes non fonctionnels.

La protection des systèmes agraires

Depuis le début des années 1990, particulièrement après la signature des accords de libre échange avec l’Union européenne, les conventions bilatérales et le démantèlement douanier, nos systèmes de production se sont de plus en plus fragilisés par l’inondation du marché local par des produits européens. Cette concurrence est déloyale, car des produits agricoles subventionnés à la production et à l’exportation (un dumping condamné par les lois de l’OMC) arrivent sur le marché tunisien à un prix inférieur au coût de la production locale.

Cette ouverture a causé la faillite de milliers PME, fragilisé la petite et moyenne exploitation agricole, paupérisé les agriculteurs, entretenu les crises en maintenant la dépendance accrue à l’importation et le déficit chronique de la balance de paiement.

Il est donc impératif d’activer les clauses de sauvegarde et de protéger nos systèmes de production menacés d’effondrement et mettre fin à l’importation non raisonnée.

De même, pendant que les pays riches subventionnent et soutiennent leurs producteurs, la Tunisie, par une présence lourde de l’Etat, persécute les producteurs en leur imposant une politique de prix dans le but de préserver le pouvoir d’achat. Il procède par un réflexe de gendarme, avec les méthodes musclés des inspecteurs du ministère du Commerce pour contrôler les prix sur les marchés de gros et prendre et empêcher la vente à des prix élevés, en ordonnant aux négociants («el-habata») de ne pas vendre au dessus d’un prix donné sous la menace de fermer leur commerce et de confisquer leur balance.

Cette politique de fixation des prix a spolié les agriculteurs, les réduisant au rôle d’une caisse de compensation et détruisant leurs systèmes de production. C’est là une vraie colonisation interne(2).

Le cas des filières lait et viande témoigne d’une expérience douloureuse par un surplus de production et un pic de lactation qui dépasse la capacité des usines locale de transformation de lait, obligeant l’Etat à devenir importateur de lait de la Slovénie, de la Roumanie et de la Belgique.

Il est impératif que toute politique de fixation des prix soit concertée avec la profession, offrant une marge de bénéfice au producteur, préservant la pérennité de la filière, renforçant les capacités productives des éleveurs et participant à la promotion du secteur.

L’investissement direct étranger (IDE) ne doit pas nuire à nos bio-ressources. Aussi doit-il concerner seulement le transfert de technologie et l’exploitation du surplus de la main d’œuvre locale.

Actuellement, une grande partie de l’IDE est en train de piller les biens de la future génération.

L’Etat doit mieux administrer ses ressources souterraines, aériennes, maritimes, végétales, éoliennes et voltaïques. S’il n’a pas les moyens humains et technologiques, il doit attendre que la future génération s’outille des technologies pour exploiter les ressources. C’est le principe du développement durable.

Il est temps aussi d’intégrer une économie régionale et de valoriser la carte d’identité biométrique entre les pays du Maghreb, un marché de proximité qui crée d’énormes opportunités d’emplois et d’investissements.

Á suivre.

* Président de l’Association méditerranéenne pour le développement (AMD).

Notes :
(1) Tunisie: Financement du secteur agricole – FAO.
(2) : Hafedh Sethom Pouvoir urbain et paysannerie.

 

Quelle agriculture après le coronavirus ? (2-3)

16 /07/2020

 

Après l’annonce d’un embargo par les grands pays producteurs sur leur blé et leur riz, nous vivons le spectre de la faim qui menace la stabilité politique et sociale dans le monde. Pour faire face à cette menace, il faut un plan de développement basé sur la protection de l’économie nationale, la création d’un fonds pour redynamiser l’investissement et créer des emplois et le soutien aux systèmes de production afin de réduire le déficit commercial. Nous évoquerons dans ce second article d’autres aspects de ce plan.

Par Cherif Kastalli

4- L’endettement de l’agriculteur

L’endettement des agriculteurs est du à un processus d’accumulation de la dette de l’agriculteur, devenu un instrument pour remédier à un pouvoir d’achat laminé et qui ne trouve plus une de marge bénéficiaire ni ne peut constituer une épargne.

Les solutions de rééchelonnement ont aggravé la situation car elles n’ont pas annulé les intérêts et les agriculteurs se sont rendu compte que ceux-ci représentent le double ou le triple du capital contracté et que seules les banques en ont profité.

Pour ce qui est de la nouvelle loi de l’investissement, non seulement elle prive 460.000 agriculteurs des mesures incitatrices de l’Etat, mais elle impose des conditions incapacitantes pour le déblocage de la prime de subvention (présenter la déclaration d’impôts des 10 dernières années, être exploitant de 30 ha et plus, si on est locataire d’un bien rural, il faut que le propriétaire de ce bien ne soit pas endetté). Les agriculteurs qui ont payé les fournisseurs en espèce furent ainsi privés de subvention…

Pis encore : une fois le dossier est complet, le déblocage, s’il se fait, intervient deux ou trois ans après et souvent après paiement de pots de vins(3). Il est donc nécessaire de prendre des mesures urgentes tels que :
-l’annulation des dettes inférieures à 10.000 DT;
-le rééchelonnement à long terme du capital restant sans intérêts avec suppression de tout ce qui a été payé en intérêt et intérêt de retard du capital initial contracté;
-l’annulation des intérêts et intérêts de retard;
-l’arrêt des poursuites judiciaires;
-le versement de la subvention au fournisseur pour ne pas retarder l’investissement.

Ces mesures sont indispensables pour intégrer dans la vie économique les 93% des agriculteurs non éligibles au crédit agricole soit 460.000 exploitants.

5 - Le morcellement foncier

Le morcellement des parcelles constitue un handicape à l’aménagement rural et une mauvaise valorisation de l’investissement. Il faut donc réduire son effet par la reconversion de l’Agence foncière agricole (AFA), en institution financière, en plus de ses fonctions actuelles. Et pour mieux assurer le remembrement en sec, il faut lui affecter des fonds en nature (terres agricoles) et en espèces. Il convient aussi d’exploiter les résultats de l’étude des cartes agricoles relatifs à la taille minimale d’une exploitation viable selon les zones, les périmètres, la nature du sol, la spéculation.

L’AFA doit avoir les tâches suivantes :
a) vendre des terres agricoles à des petits agriculteurs afin d’atteindre le minimum d’exploitation spéculée dans une région bien déterminée;
b) intervenir auprès des héritiers pour arrêter la division de l’exploitation en gardant un ou deux exploitants selon l’importance de la superficie;
c) rembourser le reste des héritiers sur ses propres fonds;
d) se faire rembourser par les exploitants, selon des modalités fixées par des textes.

6 - La réforme foncière

La réforme foncière en Tunisie est presque impossible à mettre en place avec la législation actuelle et particulièrement la loi du 12 mai 1964 qui ne se prononce pas sur la confiscation des biens ruraux des colons et leur transcription dans les registres de la conservation foncière.

Le patrimoine foncier de l’Etat est estimé de 800.000 ha est constitué de la sorte :

- 4441 ha après déchéance des droits des colons pour non respect des clauses des contrats de vente tels que stipulés dans l’article 47 du décret beylical du 19 septembre 1948(4);

- 15.000 ha récupérés suite à l’application de la loi du 11 juin 1958 de la mise en valeur de la basse-vallée de Medjerda;

- 127.000 ha rachetés par la Tunisie dans le cadre du protocole d’accord du 8 mai 1957;

- 180.000 ha devenus propriété de l’Etat par la loi de liquidation des habous publics et privés (5).

- 150.000 ha rachetés contre le payement de 1,5 millions de francs, suite à deux protocoles de 1960 et 1963(6);

-300.000 ha récupérés suite à la loi 12 mai 1964.

Excepté les 300.000 ha, le reste fait partie de la propriété privée de l’Etat tunisien car la loi 12 mai 1964 interdit juste la gestion directe des propriétés agricoles par les non-Tunisiens et transfère la gestion des biens ruraux des étrangers au domaine privé de l’Etat. C’est ce que précise l’article 2, quand à l’article premier, il indique qu’à partir de la promulgation de cette loi, personne ne peut devenir propriétaire des terres agricoles en Tunisie en dehors des Tunisiens, étant donné que la loi n’est pas rétroactive. Les titres fonciers sont donc encore au nom des étrangers ce qui fait que les 300.000 ha transférés à l’Etat Tunisien par la loi 12 mai 1964 sont au nom des colons. C’est là une nationalisation mutilée car le transfert n’a pas fait l’objet d’une transcription dans les registres fonciers au nom de l’Etat tunisien.

Cette situation ambiguë a fait que des situations sont restées en suspens depuis plus de 50 ans tels que les échanges dus aux diverses expropriations, comme les constructions de barrages ou constructions de routes…

Ceci étant, il faut amender la loi 12 mai 1964 en ajoutant une clause qui stipule ceci : «Sont transférées à la propriété de l’Etat et inscrites sur les registres de la conservation foncière les propriétés agricoles appartenant à des non-Tunisiens». C’est ce qui manque dans la loi de nationalisation des terres coloniales qui ont été confisquées par des procédures de spoliation sous la menace de la puissance dominatrice.

À titre indicatif, on cite le décret du 13 novembre, qui a bafoué les mœurs et cassé les tabous, un séisme dans le droit charaïque, en exigeant de la Djemaïa des Aouqaf la fourniture de 2000 ha de propriétés rurales habous publics à la direction de l’Agriculture, pour être cédés à bas prix aux ressortissants français(7).

On cite aussi, dans la région de Sfax, plus de 160.000 hectares de terre attribués, par le bey, à la famille Siala, qui en tirait une rente prélevée sur les fellahs. Ces terres ont été confisquées, et leurs exploitants ancestraux dépossédés au profit des colons français(8). Des pressions et des menaces de confiscation de biens habous se poursuivent. Alors la Djemaïa est sommée de fournir plus de terres à lotir, ce qui fait qu’entre 1892 et 1914, 450.000 hectares de terres sont acquis par les colons(9).

On constatera au passage que la décolonisation des terres agricoles est une justice rendue. En comparaison avec le Maroc, la nationalisation fut parfaite et sans équivoque : elle concerne uniquement les terres qui appartenaient au royaume avant l’entrée des Français. Le Dahir n° 1-63-289 du 26 septembre 1963 fixe la reprise par l’Etat des terres cédées à la France sous la menace et ordonne leurs inscriptions au nom de l’Etat marocain dans les registres fonciers(10).

Il est donc nécessaire de procéder à cet amendement afin d’assainir les situations foncières en suspens depuis plus de 60 ans et permettre aux ayants droits de s’intégrer dans la vie économique comme ceux qui ont eu des échanges suite aux terres submergées par les retenues des barrages, les lots attribuées aux combattants, aux techniciens, aux fils d’agriculteurs, aux lots attribués aux ouvriers des UCPs qui sont les ingénieurs du terrain. Cet amendement aidera les collectivités publiques à mieux gérer l’aménagement du territoire.

7- La création de chambres agricoles

La chambre des agriculteurs est une structure tampon entre la profession et l’Etat. Ce sera une instance consultative dont le rôle est de venir à l’aide à la profession en matière d’appui, d’assistance, d’encadrement, de conseil agricole et de vulgarisation.

Cette structure a été déjà instituée par la loi n ° 27 de 1988 du 25 avril 1988. Malheureusement, ces chambres ont été supprimées par la loi n °25 de 2004 du 15 mars 2004.

Avec la multiplication des syndicats agricoles, le problème du financement public des organisations professionnelles fait l’objet d’une controverse, et il pourrait être interdit à l’Etat de poursuivre ces financements.

Et puis, avec la défaillance du système de vulgarisation, le rétablissement des chambres agricoles est devenu une nécessité.

Ces chambres pourront être financées par le budget de l’Etat et elles joueront le rôle d’encadrement des structures professionnelles par l’appui et le financement des actions se rapportant à la promotion des systèmes agraires, étant donné que le financement actuel des organisations se fait par un fonds controversé, une sorte de caisse noire parallèle au budget de l’Etat, alimentée par les contributions des patrons selon la loi de finances n° 101-1974. Dans ses articles 57 et 58, cette loi autorise le Premier ministre à disposer de ce fonds à sa guise sans surveillance et sans aucun contrôle.

Seront rattachés à ces chambres l’Agence de vulgarisation et de formation agricoles (AVFA), l'Institut national des grandes cultures et les autres institutions agricoles qui sont en relation avec la vulgarisation et l’encadrement des professionnels du secteur.

Ces chambres offriront des formations aux paysans, aux techniciens et spécialistes, ainsi qu’au cadre administratif, avec la possibilité de mettre à la disposition de la profession des cadres dont elle a besoin. Elles financeront les activités envisagées par les syndicats agricoles selon un programme d’action préétabli conjointement.

Ces chambres seront aussi l’organisme unique qualifié pour délivrer les cartes professionnelles. Lors de la crise de coronavirus, l'agriculteur a vécu des problèmes lors de ses déplacements car les autorisations de déplacement livrées par l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (Utap) ont suscité des réserves sur leur crédibilité. Elles assureront aussi la gestion et l’attribution des subventions en nature de l’Etat (fourrage, son de blé, arbres fruitiers, etc.)

Á suivre : 3-3 - Gestion des bio-ressources forestières et de l’eau potable pour la future génération.

* Président de l’Association méditerranéenne pour le développement (AMD).

Notes :
(3) : Loi n° 2016-71 portant loi de l’investissement .
(4) : Hubert, Thierry, « La cession, à la Tunisie, des terres des agriculteurs français», Annuaire français de droit international 9, 1963 (933-952).
(5) : Décrets des 31 mai 1956 et 18 juillet 1957.
(6) : Protocole du 13 octobre 1960 et du 2 mars 1963 dont une partie des biens séquestrés a été rachetée.
(7) : Christophe Giudice, «Législation foncière et colonisation de la Tunisie» (229-239).
(8) : Mohamed Elloumi, «Les terres domaniales en Tunisie », Études rurales, 192 | 2013 (43-60).
(9) Jean Poncet, «La colonisation et l’agriculture européenne en Tunisie depuis 1881», Paris, Mouton, 1962 (141).
(10) Riadh Ben Khalifa, «La récupération des terres agricoles coloniales en Tunisie (1951-1964)», mémoire de DEA, soutenu à la Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis, le 18 novembre 2002.

 

Quelle agriculture en Tunisie après la crise du coronavirus ? (3-3)

19 /07/2020

 

Après l’annonce d’un embargo par les grands pays producteurs sur leur blé et leur riz, nous vivons le spectre de la faim qui menace la stabilité politique et sociale dans le monde. Pour faire face à cette menace, il faut un plan de développement basé sur la protection de l’économie nationale, la création d’un fonds pour redynamiser l’investissement et créer des emplois et le soutien aux systèmes de production afin de réduire le déficit commercial. Nous évoquerons dans ce troisième et dernier article d’autres aspects de ce plan : la gestion des bio-ressources forestières et des ressources en eau.

Par Cherif Kastalli

8- La gestion des bio-ressources forestières

La zone forestière englobe une superficie de 850.000 ha avec une population de l’ordre d’un million d’habitants. Depuis le 18e siècle, la population forestière est en situation conflictuelle avec les pouvoirs qui ont dominé la Tunisie, malgré que la forêt soit une terre collective en copropriété entre les habitants de la forêt. En 1842, le Bey par un décret avait chargé l’«oukil», commandant militaire, de Tabarka pour contrôler les exploitations forestières dans les massifs montagneux du littoral (11).

Les autorités coloniales ont domanialisé les espaces forestiers et réalisé au profit des colons des opérations de dépossession d’envergure englobant des centaines de milliers d’hectares en utilisant la répression et des décrets spoliateurs tels que les décrets du 4 avril 1890, du 13 janvier 1896 et du 22 juillet 1903. Le décret du 23 novembre 1915 limite à l’extrême les droits d’usage des populations tunisiennes établies dans les zones forestières ou à leur périphérie (12).

Lors de la période de l’indépendance, la répression n’a pas cessé et l’Etat a procédé à la délimitation des terres à vocation forestières et leur classement dans le domaine de l’Etat que la population considère comme une dépossession. Il est à noter que 350.000 ha, objet de réquisition d’immatriculation, ne sont pas encore attribués par le tribunal foncier au domaine privé de l’Etat ce qui explique bien que les ayants droits aux fonciers sont les habitants de la forêt.

Il faut noter aussi que malgré sa révision le code forestier reste répressif. Le côté social y est peu développé. Il ne permet pas en particulier aux GFIC (groupements forestiers) de participer à des adjudications importantes.

On voit bien que la population forestière est une communauté hors la loi sur son propre terrain.

De même un hectare de foret génère une rente dérisoire. En 2017, les bénéfices nets des produit forestiers (liège, bois, myrte, romarin, lentisque, champignons, graines de pin d’Alep) sont de 15.908.033 dinars soit par hectare 24 dinars (13).

Il est alors indispensable de pousser vers une implication accrue de la population forestière dans la cogestion des bio-ressources pour une valorisation de la forêt et la réhabilitation des manquants et le remplacement des sujets non productifs par des plants à haute valeur ajoutée comme le pistachier, le noisetier, l’amandier, le noyer, les plantes aromatiques et médicinales, etc.

Pour ce faire un contrat de «mougharsa» doit être conclu entre l’Etat et l’habitant de la forêt et en annexe de ce contrat sera greffé un cahier des charges où seront définies les tâches et les obligations du «mougharsiste» tout en mentionnant le respect de l’écosystème, la conservation des eaux et sol, la sauvegarde des bio-ressources et le mode de faire-valoir de la part qui sera attribuée à l’Etat une fois la plantation entre en production. Par cette mesure, on peut créer dans les régions des tells 50.000 exploitations forestières à raisons de 10 ha par exploitation et créer 200.000 emplois permanents.

Le contrat de «mougharsa» est la réparation d’une injustice historique marquée par l’oppression, la dépossession et la paupérisation. Il consiste à une entente entre le propriétaire d’un terrain nu et un exploitant planteur qui se charge de planter le terrain nu en arbre fruitiers et de l’entretenir jusqu'à ce qu’il entre en production. Une fois le verger est productif, le planteur est alors copropriétaire à part égale avec le propriétaire initial. Ce contrat est mentionné dans le code des obligations et des contrats. Il est encore en vigueur (une grande partie de l’oliveraie de Sfax a été réalisée selon un contrat de «mougharsa» entre la Djamiaa des habous ou administration des habous et les cultivateurs sfaxiens, car les terres beyliks qui sont gérées par la Djamiaa n’ont pas trouvé de locataires. Il faut dire que sans ce contrat de «mougharsa», la forêt de l’olivier de Sfax ne serait pas comme elle est maintenant).

9 - Comment assurer une eau potable à la prochaine génération ?

La mauvaise gouvernance de nos ressources en eaux et l’absence d’une vision qui garantit une eau pure à la future génération menace de soif 12 millions d’habitants. Avec le temps, on craint que la crise de l’eau s’aggrave et que la situation devienne ingérable. Car nous sommes en train d’assister passivement à :

  • un manque de réserves en eau avec la détérioration de sa qualité, le changement de sa couleur, de son goût et de son odeur;
  • l’envasement des barrages et l’absence d’un programme de dévasement et de dragage des barrages;
  • le versement des eaux usées dans les cours d’eaux et les retenues des barrages;
  • les capacités limitées des stations dépuration de l’Onas d’éliminer les bactéries et les virus qui arrivent aux grands bassins de la Sonede de Ghdir El-Golla;
  • la forte pression démographique de la population des bassins versants, le dépôt de cadavres d’animaux malades et autres déchets dans les cours d’eaux, le sur-pâturage, l’absence de techniques douces dans le travail du sol;
  • le déversement dans la mer, chaque année, de plus que 300 millions de m3 des eaux des barrages de Sidi El Barrak et Barbara;
  • l’absence de programmes de développement durable qui impliquent la population des bassins versants dans la conception, l’exécution et la sauvegarde des ouvrages hydrauliques;
  • des difficultés dans la programmation et l’élaboration des stratégies et dans la détermination les responsabilités suite aux différends intervenus dans la gestion de l’eau potable tels que les ministères de l’Agriculture, de l’Environnement, des Affaires locales, de l’Equipement et de l’Aménagement du territoire).

Les retenues des barrages sont menacées par la pollution. Si on ne prend pas des mesures urgentes, ces retenues seront une mare infestée de bactéries et de virus, il est à signaler que des traces de Covid-19 ont été détectées dans les eaux usées de Barcelone, de Milan et de Paris. Il est donc nécessaire:

  • d’interdire le versement des eaux traitées on non dans les cours d’eaux;
  • de sauvegarder le bassin versant d’Oued Medjerda par la collecte des eaux usées et les drainer vers les zones arides pour une réutilisation dans des cultures résilientes;
  • d’envisager, pour la population des bassins versants, un programme spécifique de gestion des eaux usées et des cadavres de bétails, et ce par la construction des fosses septiques afin de réduire la pollution des cours d’eaux;
  • de procurer au Grand-Tunis et au Cap Bon une eau ultra pure ceci par la construction de deux barrages d’une capacité respective de 100 millions de m3 par an, l’un sur Oued El Maaden et l’autre sur Oued El Melleh qui, par gravité, fournissent 200 millions de m3 au Grand-Tunis et nous évitons ainsi les lâchers de 400 m3 dans la mer(13). Ceci est d’autant plus nécessaire que les eaux déversées dans la mer par les barrages El Barak et Barbara en 2018 ont dépassé les 400 millions de m3 soit l’équivalant des capacités de rétention des barrages de Kasseb, Malleg, Bouhertma et Bni Mtir;
  • d’équiper les barrages des bas fond comme El Barrak et Barbara par des stations voltaïques flottantes de technologie tunisienne pour pomper les eaux vers les barrages Bouhertma et Sejnane.

Fin.

Notes :
(11) «La sylviculture française dans la région méditerranéenne» par G. Lapie, inspecteur principal des eaux et forêts.
(12) «La législation forestière sous le Protectorat», Marouane Lajili, in ‘‘Rawafid’’ n°9, Revue de l’Institut supérieur d’histoire du mouvement national, 2004.
(13) Onagri : Indicateurs clés sur la forêt, les produits et services forestiers en Tunisie, 2018.
(14) Onagri : Apports et lâchers des barrages 2019.

* Président de l’Association Méditerranéenne pour le Développement.

 

 https://kapitalis.com/tunisie/2020/07/10/quelle-agriculture-en-tunisie-apres-la-crise-du-coronavirus-1-3/

https://kapitalis.com/tunisie/2020/07/16/quelle-agriculture-apres-le-coronavirus-2-3/ 

 https://kapitalis.com/tunisie/2020/07/19/quelle-agriculture-en-tunisie-apres-la-crise-du-coronavirus-3-3/

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samedi 9 décembre 2023

الجامعة العربية و صمت القبور

 

الجامعة العربية و صمت القبور

استعمال الفيتو من طرف أمريكة   ضد وقف القصف على مدنيين غزة و إيقاف الابادة الجماعية  يعتبر وقاحة و مشاركة  في جرائم الحرب  و كذلك يعتبر إهانة لجميع العرب سوى المطبعة أو الغير المطبعة  هذا الفيتو جعل حكام العرب مجرد مريونات متجمدة في واجهة البزارات

أضعف الإمان هو جميع الدول العربية  تجمد العلاقة مع الولايات المتحدة الأمريكانية اذ لم نقل قطع العلاقات

تجميد عضويتهم في منظمة الامم المتحدة حتى يقع تغيير القانون الداخلي لمجلس الأمن المرتهن من طرف أصحاب الفيتو

تكوين قوة عسكرية بمضادات للطائرات على تخوم غزة لمنع الطائرات المحتل الصهيوني من قصف سكان غزة

تسليح المقاومة الفلسطينية لتصد توغل جيش العدو و استفزازات  المستوطنين في الضفة الغربية

جلسة خاصة حول لبنان اثر التهديد المعلن من طرف المجرم ناتنياهو في تدمير بيروت مثل غزة . هذه الجلسة يجب أن تخرج بتسليح الجيش البناني بمضادات للطائرات

اخر فرصة للجامعة العربية للاحتفاظ بماء الوجه  قبل أن تفرض الشعوب على حكوماتها الانسحاب من الجامعة العربية 

كل دولة  عربية يجب أن تفكر و تدرس علاقاتها مع الغرب و أمريكا بعد ما عرٌى 7 أكتوبر الوجه الحقيقي للغرب و نفاقه و مبادئه الحقوقية الزائفة . الغرب سيعاقب كل من لم يندد بالمقاومة الفلسطينية و سيقع تجميد و مصادرة أموالهم كما وقعت لأموال ايران  و أموال روسيا و أصدقاء الرئيس بوتين

 

 

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Ingenieur adjoint et exploitant agricole .Marié père de 2 enfants